Coin des directeurs
Selon Matthieu,
c'est le début du premier discours de Jésus. La série
des Béatitudes est donc un commencement. Un commencement au
même titre que d’autres commencements dans la Bible ?
La
parole de Dieu est au commencement de toute la création (Gn
1). Elle dit et fait ce qu’elle dit, mais ce n’est pas
une béatitude. Et cependant, à la fin de chaque étape
de la création, Dieu voit que tout cela est bon…
D'une montagne à l'autre
Autre commencement majeur : le don de la Loi, l’alliance du Sinaï (Ex 19-24). Cela se passe sur la montagne et, pour la conclusion de l’alliance, Moïse est assis pour un repas avec 70 des anciens d’Israël : cela ressemble un peu à Jésus assis sur la montagne avec ses 12 disciples. Les premières phrases de l’alliance du Sinaï, ce sont les Dix Paroles (le Décalogue, Ex 20). Elles commencent par un tout petit récit : ''…je t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude'' qui rappelle à tout Israël les merveilles de l’Exode. Mais il s’agit d’autre chose sur la montagne avec Jésus : non le récit des merveilles du passé, mais la déclaration des béatitudes. C’est une autre manière de faire naître un peuple, une manière qui s’adresse à tous, pas seulement à Israël libéré
Une joie inouïe
Suivons
le fil du texte de Mathieu. Le mot ''heureux'' revient neuf fois. Une
liste à neuf termes, cela paraît une liste incomplète
(rappelons-nous les Dix Paroles !). Mais la liste des béatitudes
s’achève par l’injonction du v. 12 : ''Soyez
dans la joie et l’allégresse…'' Ainsi est
explicité le mot ''heureux'' : ceux et celles que Jésus
déclare heureux, répondront à cette déclaration
en se tenant dans la joie et l’allégresse. Paradoxe des
béatitudes : ceux et celles que Jésus déclare
heureux ne se croyaient sans doute pas tels ! Mais que Jésus
le leur déclare et cela engendre en eux une joie inouïe.
Notons que les deux dernières déclarations de
Jésus (v. 11-12) diffèrent des précédentes.
Elles s’adressent à un ''vous'' : ''Heureux êtes-vous
lorsque…'' Alors qu'il paraissait s'adresser à la
foule, Jésus se tourne-t-il maintenant vers quelques-uns en
particulier ? Difficile à savoir. L'important, c’est
qu'en s'adressant à quelques-uns (''vous''), Jésus
parle aussi de lui : ''…à cause de moi''. Le secret des
déclarations de Jésus tient dans la relation entre lui
et ceux à qui il parle. Si les béatitudes parlent à
tout homme et lui disent qu’il a vocation - paradoxale - à
être heureux, la joie et l’allégresse qui
couronnent ce paradoxe sont le fruit de la relation à Jésus
: ''…à cause de moi''.
Un avenir ouvert
L'ensemble
des huit premières béatitudes (v. 3-10) est délimité
par la mention du Royaume des cieux (v 3.10), introduit par un verbe
au présent : ''…à eux est le Royaume des
cieux'' alors que toutes les autres (v. 4-9) emploient un verbe
au futur : ''ils hériteront… seront consolés…
etc.'' Les béatitudes sont des déclarations qui
valent pour le présent : ''Le Royaume des cieux (ou de
Dieu) est parmi vous'' ne cessera de proclamer Jésus sur
les routes de Galilée. Et cette présence du Royaume
dans notre présent nous ouvre un avenir : hériter, être
consolé, être rassasié…
Les
béatitudes sont formulées de manière constante :
''Heureux ceux qui…''. Ceux qui sont déclarés
heureux sont caractérisés par un adjectif (par un état)
: pauvre en esprit, doux, affligé, pur de cœur, ou bien
par un verbe (par une action) : avoir faim et soif, faire
miséricorde, faire la paix, être persécuté.
Cette manière de formuler les choses rappelle, par contraste,
les malédictions proclamées autrefois par les prophètes
: ''Malheur à ceux qui…'' (cf. par ex. Am 5,18
et 6,1 ou la liste de sept malédictions en Is 5,8-25 et
10,1-4). À leurs contemporains stigmatisés ainsi pour
leurs injustices, les prophètes annoncent pour conséquence
un grand malheur. Au fond, les béatitudes ont quelque chose de
prophétique. A ceci près que le prophète Jésus
n’annonce pas un malheur mais plutôt une manière
paradoxale de vivre ce qui nous apparaît comme malheur, à
savoir être persécuté à cause de lui ! Il
est possible de vivre toute notre vie avec l’allégresse
au cœur à cause de lui et avec lui, si nous nous
attachons à lui pour apprendre de lui comment vivre ce
paradoxe.
La justice du Royaume
De
qui parle Jésus ? Les quatre premières béatitudes
s’adressent à des personnes qui vivent manifestement un
manque : être pauvre (ou humble, voire humilié), être
doux (sans violence ?), être affligé, avoir faim et
soif… de justice ! Le manque fondamental, en fait, est celui
de la justice et il donne sens à tous les autres.
Les
quatre béatitudes suivantes restent dans la thématique
de la justice, mais cette fois au niveau d’un ''engagement'' :
faire miséricorde, être pur de cœur, faire la
paix, être persécuté à cause du combat
pour la justice. Sous différentes facettes, on peut dire que
les béatitudes déclarent heureux ceux et celles pour
qui la justice (du Royaume, cf. Mt 5,20) est un enjeu majeur. Si les
prophètes dénonçaient ceux qui pratiquaient
l’injustice, Jésus déclare heureux ceux qui
placent au centre de leur vie le souci de la justice.
Dans
cette perspective, il faut noter enfin que Jésus parle très
concrètement : de l’esprit (ou du souffle), du cœur,
d’avoir faim et soif, du regard (et des pleurs). Le paradoxe
par lequel Jésus déclare heureux ceux et celles qui ne
se pensaient pas tels, mais qui sont concernés par la justice,
touche au plus intime de notre être. Car ce paradoxe a quelque
chose à voir avec la relation à Dieu : voir Dieu (v.
8), être appelé fils de Dieu (v. 9). En faisant
confiance aux déclarations des béatitudes, à la
suite de Jésus qui nous ouvre ce chemin, ce qui nous est
promis n’est rien de moins que la joie et l’allégresse
d’une relation filiale avec Dieu.
Extrait des Dossiers
de la Bible n°
100 (2003), p. 10-11
Patrick Bauthier,
Inspecteur diocésain principal.